Les femmes et la BD

Il y a deux jours, je suis allée dans un atrium de Polytechnique Montréal. C’était pour un vernissage, celui de Chercheuses en sciences, organisé par le Festival BD de Montréal, le Consulat général de France au Québec ainsi que le Fonds de recherches Nature et technologie du Québec. Du monde sérieux, quoi.

J’y allais pour présenter deux planches qui font partie de l’exposition, que j’ai réalisées cet été. Ça met en lumière les recherches de Laetitia Jeancolas, une chercheuse en neurosciences.

Je crois qu’on était une vingtaine de femmes bédéistes à avoir illustré les recherches de tout autant de femmes scientifiques.

Ce soir-là, c’était la première bordée de neige de l’année. Je roulais lentement vers l’Université de Montréal tout en écoutant la radio. On a mentionné la tuerie de Polytechnique, qui a eu lieu il y a trente-trois ans aujourd’hui. Je me suis sentie toute engourdie un moment, alors que je montais bravement la côte du Chemin de la Rampe. Il y avait quelque chose de surréel de toutes nous trouver à cet endroit, 48 heures avant les annuelles commémorations.

J’ai demandé à la directrice du Festival si tout cela avait été orchestré, comme un hommage sobre et respectueux aux victimes. Non, qu’elle m’a répondu, c’était un hasard. Un frisson nous a traversées, c’était à la fois émouvant et dérangeant.

Laetitia, la chercheuse avec qui j’ai travaillé, nous a demandé ce qu’on avait. Française débarquée depuis peu au Québec, elle n’avait encore jamais entendu parler de la tuerie de 1989. C’était dur de lui expliquer. Et c’était dur pour elle de comprendre. Un homme avait tué des femmes. Volontairement. Parce qu’elles étaient brillantes, fortes.

Nous étions toutes à ce vernissage, cet atrium, rempli de femmes brillantes et fortes. On célébrait quelque chose de joyeux, d’agréable. On mettait de l’avant le travail de ces vingt chercheuses. Il y avait là une forme de candeur dans la résilience. J’étais fière d’être là.

2023 aura été l’année où j’ai ajouté le titre de bédéiste à mon CV. Je ne l’avais pas fait avant, je considérais que de publier un livre, un seul, faisait encore de moi une illustratrice qui s’essaie à la bande dessinée. Mais cette année, j’ai réalisé plusieurs courtes bande dessinées de vulgarisation. Elles avaient toutes une chose en commun : elles m’ont été commandées par des femmes. Ce n’était pas un but recherché, ça s’est passé comme ça. Et j’ai vécu des expériences professionnelles exceptionnelles. Ce fut des collaborations emplies de respect, de confiance et de considération. Ça m’a donné un souffle nouveau.

C’est facile de tomber dans le cynisme quand ton travail c’est de “faire des beaux dessins” à longueur de journée. Je me demande souvent si finalement je suis inutile dans un monde qui a tant besoin d’aide. Je ne crois pas changer le monde avec mes bandes dessinées, loin de là, mais de pouvoir vulgariser et rendre accessible le travail de celles qui le changent vraiment, ça donne une nouvelle dimension à mon travail.


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